Biographie de Rolande Biès
Rolande Renoux est née le 30 novembre 1919 à Castelsarrasin.
Sa mère était professeur de piano. Son père, engagé volontaire à dix-sept ans en 1914, fera une carrière d’Officier supérieur qui lui vaudra d’être décoré de la Croix de guerre et élevé au grade de Commandeur de la Légion d’Honneur.
Rolande Renoux suivra sa famille en exode jusqu’à Excideuil, mais décidera de rejoindre Paris pour continuer sa Licence de philosophie. Son mari disparaîtra dans la tourmente. Elle connaît solitude et pauvreté, élève sa fille Jacqueline, née en 1942, au milieu des pires difficultés.
Elle suit les cours de Gaston Bachelard, qui lui conseille de s’intéresser à l’Orient.
À la suite, en 1946, d’une lecture de l’Essai sur la Métaphysique du Védânta, par le swâmi Siddheswarânanda, qui expose la philosophie hindoue en Sorbonne, elle en devient la disciple, et reçoit le nom d’initiation de Tarini, «Celle qui fait passer» (les rivières).
Elle ouvre à Alger, en 1948, une librairie orientaliste, Le Lotus d’or, où elle s’applique à faire connaître les sagesses orientales en un temps où le mot même de «yoga» n’était connu que des seuls sanskritistes. Un public rare mais intéressé découvre les enseignements de Râmakrishna, Vivêkânanda, Râmdâs, Mâ Ânanda Mayî, traduits par Jean Herbert, que suivent les premiers ouvrages consacrés au bouddhisme tibétain, dont le Bardo-Thödol (Le Livre des Morts), et ceux de D. T. Suzuki sur le bouddhisme zen.
Durant cette même période, elle se rendra seule à Tamanrasset visiter le bordj du Père de Foucauld dont elle aimait citer la phrase : «Entre deux voies choisir la plus difficile. » Elle découvre l’Orthodoxie, qui lui apparaîtra détenir les clés de l’«ésotérisme chrétien» ; s’adonne à la «prière du cœur» fondée sur la répétition du nom du Christ en accord avec la respiration, – méthode déjà découverte dans le japa hindou et le dhikr musulman.
Elle entre en relation avec la confrérie soufie al-Alâwiya de Tijditt, que dirigeait le sheikh Hadj Adda Bentounès. Convaincue de l’unité transcendante des religions, elle rencontre également André Chouraqui, futur traducteur de la Bible.
L’Algérie lui apparaît comme une terre privilégiée pour la rencontre des religions ; le cours des évènements en décidera autrement.
Rolande Renoux devient secrétaire de direction à l’Institut d’Études du Développement Africain, avant de rejoindre la France en 1962.
Elle n’avait pas interrompu pour autant ses recherches, les élargissant même, dans son goût de l’insolite, du non-dit, à l’exploration de la «métapolitique», des coulisses de l’Histoire contemporaine. C’est ainsi qu’elle était informée par des documents confidentiels des camps d’extermination soviétiques bien avant que la presse occidentale osât s’en emparer, de l’«image invisible» et du «viol des foules» par les conditionnements idéologiques. Elle rappelait la phrase de Disraëli : «Le monde n’est pas dirigé par ceux que nous croyons», que venaient lui confirmer l’action des sociétés secrètes et la lecture de René Guénon.
En 1961, Rolande Renoux épouse Jean Biès, qui avait fait sa connaissance en 1953, à l’époque du Lotus d’or. Ce sera le début d’une intense coopération de près de cinquante années. Le couple s’établit à Arros-Nay (Pyrénées-Atlantiques) dans une maison restaurée, Saint-Michel-la-Grange, qui sera lieu d’accueil, de travail et d’éveil.
Rolande Biès se révélera la femme providentielle, l’«initiatrice», l’infatigable et indéfectible collaboratrice de son mari, qui n’hésitera pas à en dire qu’elle était présente derrière chacune de ses pages.
Dans les années 70, Rolande Biès fait une autre découverte qui marque un tournant décisif dans sa vie : l’œuvre de Carl Gustav Jung.
Celui-ci lui fournit les bases de la «psychologie des profondeurs» : la persona, masque social dont se désidentifier ; l’animus de la femme et l’anima de l’homme ; les quatre «fonctions» : pensée, sensation, sentiment, intuition ; les «inconscients personnel et collectif», soubassements originels de la psyché ; les «archétypes» communs à l’humanité et reliés à la transcendance ; les «complexes», nés des traumatismes et de tendances incompatibles, l’«ombre», la partie inférieure et refoulée de la personnalité ; la «névrose» : conflit entre la vocation personnelle et la nécessité d’adaptation sociale.
Ces fondamentaux sont inséparables d’un ensemble de pratiques : l’interprétation des rêves et leur amplification ; la mise en équilibre des quatre «fonctions» ; l’imagination active et les «associations» ; l’attention portée aux synchronicités ; les calembours signifiants de la «langue des oiseaux» ; la consultation du Yi King.
L’ensemble de ce travail constitue le «processus d’individuation» conduisant à une unité autonome et indivisible, à une «totalité», au «Soi» : «conciliation des opposés» ; autrement appelé Pierre philosophale, ou Tao.
Acquise à ses données, et particulièrement intéressée par les énigmatiques gravures et allégories alchimiques, Rolande Biès entreprend durant deux ans, une analyse didactique avec l’éminente auxiliaire de Jung, Marie-Louise von Franz, qui lui déclarera bientôt : – «Rolande, je n’ai rien à vous apprendre.»
Rolande ouvre son «laboratoire» d’analyste, constitue une importante bibliothèque alchimique, donne des séries de conférences, adresse mensuellement à ses élèves, durant une dizaine d’années, des Lettres portant sur des sujets très divers : explication de rêves et de récits mythologiques, commentaires des caissons sculptés de Dampierre-sur-Boutonne, du symbolisme de la cloche (son sujet de thèse), décryptage du Rosaire des Philosophes.
La chaleur de son accueil, sa simplicité jointe à son énergie, son art de tirer le positif du négatif, ses étonnantes intuitions, attirent rapidement un nombre croissant d’analysants.
Ces quelques traits permettent d’entrevoir l’inépuisable personnalité de Rolande Biès, exemple même de la Sagittaire et de la femme médiale : celle qui se trouve au milieu (medium) entre les extrêmes, concilie les opposés ; celle également qui exprime en acte ce qui est «dans l’air du temps», mais dont l’environnement n’a pas encore pris conscience, et qui se réalisera plus tard. Son caractère harmonisait ces deux polarités que sont l’«extraversion» : d’une nature roborative, elle était tournée vers l’action et vers les autres ; et l’«introversion» : tournée vers l’intériorité, la concentration, les moments de silence et de solitude.
Il y avait en elle le sens d’un héroïsme volontiers sacrificiel, – celui qu’elle trouvait dans les grandes gestes chevaleresques comme celle du Graal –, le sens de la grandeur et d’une élégance naturelle. Mais en même temps, une vive affectivité exempte de tout sentimentalisme, – qui lui faisait apprécier tout spécialement les chants liturgiques russes –, le sens de la fragilité, l’amour de l’être humain, la ferveur, la tendresse, l’attention au sacré.
Rolande Biès s’éteindrait en toute paix et lucidité dans la nuit du 19 au 20 février 2012. Depuis longtemps, beaucoup de ses amis avaient su voir en elle une «grande dame».
Paroles de Rolande Biès
J’aime entendre rire les gens. Je me dis que pendant ce temps, ils ne sont pas malheureux.
Un souci qui me tient à cœur : faire sourire tous ceux qui sont sur ma route quotidienne.
Il ne faut pas rester seulement sur la terre, car elle rétrécit l’horizon. Il ne faut pas non plus viser uniquement le ciel : il nous reste inaccessible. Il faut se tenir entre terre et ciel, entre haut et bas, car l’entre est l’«antre du cœur», le lieu du Centre.
Il faut avoir confiance en soi, avoir de l’audace, oser. Il faut planter un brin d’ose y est dans son jardin !
« Faisons de l’or ! Sonnons le réveil !
Éclairs et clairons ! Éclairons notre temps ! »
Ces montagnes pourraient bien être là pour nous signifier quelque chose : que nous-mêmes en entourons d’autres, celles qu’il faut gravir au fond de nous.
À la vue des risées sur le gave :
- Tout est fait de frissons plus que de certitudes.
Une voix me disait dans ce rêve :
- La certitude est ta loi, l’incertitude est ton lot.
La seule, la pire des pauvretés n’est pas ce qui nous manque, mais l’ignorance de toutes les richesses que nous avons en nous.
L’essentiel de la vie est de toujours lui dire OUI. OUI à ce qui est, tel que c’est, OUI à nous-mêmes, tels que nous sommes. OUI aux autres, tels qu’ils sont, sans essayer de toujours les comprendre ou de s’imposer à eux, mais en les acceptant obscurs et lumineux, comme nous le sommes nous-mêmes.
La véritable force de l’être humain réside dans son contact avec la nature et ses éléments.
Prends le F de Feu, l’O de l’Eau, le R de l’Air, et le T de la Terre, tu obtiendras justement FORT. Et tu le seras !
Un jour de grande peine, je me suis mise à genoux pour demander à Jésus pourquoi Il m’avait fait tant souffrir durant la guerre, et continuait après, alors que je n’avais pas l’impression de le mériter.
Et je compris qu’il n’y avait point là une question de justice immanente, mais que j’aidais ainsi peut-être à racheter un peu de la haine du monde contre Lui.
Depuis lors, je bénis et rends grâces, car chaque jour amène son tourment, mais aussi ses joies, si seulement on sait lire … On ne peut être grand qu’en étant petit comme le petit Jésus. Immense petit enfant.
On devrait avant tout prendre sur soi la conscience de ceux qui n’ont pas conscience d’eux-mêmes pour leur en faire offrande et leur dire : «Je vous fais la plus belle offrande qu’un humain puisse faire à un autre humain : votre conscience.»
Dans l’adversité, il faut savoir pardonner à son destin.
Je sais des choses que je ne sais pas.
Je réalise un peu plus chaque jour à quel point je me constate professeur d’enthousiasme !
Ris-toi de ceux qui se moquent de toi parce que tu n’adhères pas à leur conformisme. Si tu n’es pas dans l’air du temps, sois dans l’éther de l’éternité.
Et surtout, n’oublie pas que lorsqu’on abdique sa personnalité, on a peut-être moins d’ennemis, mais on n’intéresse plus grand monde.
Sois bénis d’être tel que tu es, plein de souffrance et d’amour, car c’est par la souffrance qu’on grandit, et par l’amour qu’on rapetisse pour atteindre le petit point du centre d’où tout rayonne.
Lorsqu’on sacrifie le moi, on ne ressent nul chagrin. Bien au contraire, on se sent léger, léger comme le pollen : on devient invisible, mais on respire et l’on est respiré par les autres.
C’est bien de mourir de son vivant.
Si je devais mourir avant toi, promets-moi, Jean, de continuer d’écrire.
Les disparus ne sont pas au cimetière.
Ils sont dans le cœur de ceux qui se souviennent d’eux.
Faire-part de décès (1980) :
« Mon âme est désormais délivrée de toute misère.
Elle s’est faite couronne de joie.
Ma poussière deviendra soleil. »
Jean Biès
Documents publiés par Rolande Biès (sur le site cgjung.net)